samedi 5 septembre 2009

Tour du Néouvielle : J2 - La grande traversée

Comme l'année dernière, je vais vous présenter un nouveau "carnet de voyage", ou plutôt un "carnet de randonnée" : le tour et l'ascension du Néouvielle, en 4 jours. J'ai effectué cette sortie début août de cette année 2009, avec 6 camarades de jeu (l'année dernière, le premier récit racontait le tour du Mont Perdu).

Présentation du "Carnet de randonnée" (premier billet)

Jour 1 : Taxe pour "surcharge bagage" (deuxième billet)

Jour 2 : La grande traversée

Entre moustique, coups de chaud, et dalle en pierre ondulée, la nuit n'a pas été de tout repos. Et quand j'arrive à fermer un œil, les troubles abdominaux de "Muzo" alternent avec ses ronflements pour me le faire rouvrir. Bref, c'est pas l'hôtel. Juste ce que nous cherchions en nous déconnectant autant que possible de notre civilisation.

Dès 7H00, la lutte contre les kilos de bagages superflus s'engage et un petit déjeuner solide permet de nous alléger encore de quelques pains au lait. Mais vu le programme de la journée, nous décidons de délester les plus souffrants du groupe. au même titre que le "Grand Lapin", j'hérite d'une tente supplémentaire (2,7 Kg). Récupération des déchets oblige, le "Basque" récupère pour sa part une poubelle bien pleine (150 Grs).

La levée du camp est d'ailleurs l'occasion de voir toute la maîtrise de "Laurent" et de son chef collègue "Peïo" dans l'art du pliage de tente "Quechua" - épreuve en passe de devenir olympique tant elle s'avère technico/tactique pour le non-initié.

Mais pour "Peïo", l'heure est aussi aux réparations. Ses chaussures, visiblement en bon état mais trop vieilles de quelques années, ont vu leur semelle se décoller largement dans les dernières heures de marche de la veille - on connait maintenant bien ce genre de phénomènes lâche qui peut briser vos initiatives montagnardes les plus motivées. Il se retrouve sur les bancs du refuge en "TP Câblage", à enserrer ses godillots de quelques fil électriques qui maintiendront ce qu'ils pourront. L'objectif en filigrane est tout de même de finir le trip puisqu'aucune solution alternative n'est envisageable.

"Jéjé", comme ses gênes l'y contraignent, lambine sérieusement au décollage. Nous mangeons plus d'une demi-heure de retard sur l'horaire prévisionnel (8H00), critique en cette journée à l'épaisseur peu rassurante. Notre trajet consistera à contourner le Néouvielle par le côté "Nord". Sur la carte c'est joli, mais long. Dans la réalité, trois cols à franchir et autant de vallons à traverser. Ce sera très joli, mais très long.

A froid, l'attaque de la première "Hourquette de Mounicot" (2547 m) nous offre 400 mètres de dénivelé. Juste de quoi dégourdir nos jambes, encore endolories de la veille. Et à vrai dire, seul "Jéjé" ne sent pas ses jambes; la douleur que lui font endurer ses pieds dépasse tout. Ceux-ci sont plus que jamais illuminés des plus belles ampoules qu'il m'ait été donné de voir dans ma carrière de podocure (spécialité médicale bigourdane).

Une heure après notre décollage, le soleil brille déjà haut dans le grand ciel bleu pour accompagner notre première descente. Le paysage que nous traversons est hallucinant ; il nous donne l'impression que des pans entiers de la montagne environnante se sont écroulés sur quelques heures auparavant, laissant un champ de blocs granitiques aux arêtes vives mais rugueuses, troué de trois lacs majeurs et d'autant de mineurs.

Dans ce décor, nous nous élançons inlassablement de rocs en rocs, et avec 50% de longueur de jambe en moins que les mieux lotis d'entre nous, le "Muzo" est au supplice. Prévoyant, il s'est tout de même doté de bâtons de marche qui lui permettent de maintenir un bon rythme proche de la tête de trek.

Pour "Peïo", les chaussures tiennent mais nécessitent quelques serrages de câbles réguliers. "Laurent", comme son expérience lui préconise, gère tranquillement son effort.

Du côté de nos deux guides, ils sont rarement d'accord mais toujours impeccables. Et il en faut de la clairvoyance pour dénicher cairns érodés, marquages de peinture délavée, et sentes discrètes. Car le tour de ce massif, ce sont avant tout des chemins clairs et francs mais aussi quelques-uns "de traverse" qu'il convient de ne pas louper pour économiser ses forces, et nos mentors excellent dans le décodage des pentes et la recherche des chemins optimum.

Trois heures de plus et nous atteignons le second col, dit "de Tracens" (2463 m). En plus d'offrir une vue improbable sur tous les pics et vals environnants, ces échancrures sont bien ventilées et nous offrent de salvatrices descente en température. Le temps d'une photo de groupe avec "retardateur-qui-fait-courir" et il est midi bien passé. Nous décidons de nous charger en calories quelques centaines de mètres plus bas, entre la paire de énièmes lacs qui s'offrent à notre vue.

Arrivée sur les rives du Madaméte (2299 m), nous engouffrons nos rituelles salades en boite / sauce écœurante, fromage / pain semi-rassi. J'en viens parfois à envier "le Chef" et ses pesantes boites de saucisses / lentilles, froides. On arrose bien entendu le tout d'un bon gros "tinto" vite rafraichi au creux d'un remous glacé. D'un coup de camping-gaz, on prépare le café qui lance notre après-midi à la conquête du Col de Barèges (2469m). Mine de rien, le rythme de la matinée a été satisfaisant et malgré petits bobs et irritations, le moral reste bon. Mais il ne faut pas trainasser, nous sommes censés arriver au refuge du Bastan avant 19H00.


Pour ce dernier col, le dénivelé n'est pas énorme, mais la traversée s'effectue à travers un océan de granit concassé qui n'est pas des plus accueillant. Sur notre gauche, le bienveillant "Pic du Midi de Bigorre" règne en patron sur cette partie septentrionale de notre périple, et c'est avec sa bénédiction qu'après une heure d'effort supplémentaire nous basculons vers une nouvelle vallée à la géologie et la topographie inédites.

Tout y est radicalement différent de ce qu'on côtoyait jusqu'alors. Ça ruisselle à foison et la végétation en profite : mousses géantes, buissons galopants, sapin majestueux. La nature explose au "Lac de Gourguet" (2218 m) et 100 m plus bas, c'est l'apothéose au "Laquet de Coste Oueillère" (2100 m) qui nous offre un dépaysant panorama façon "rizière".


Le groupe se réunit pour contempler quelques instants ce miracle pyrénéen. On croise d'ailleurs d'autres randonneurs, car le verdoyant val est réputé pour sa beauté et nombre de chemins y convergent. Nous prenons celui qui doit nous mèner au refuge. D'après nos GO, la balade touche à sa fin.

Grave erreur ! Dans les faits, pour 3 cols franchis, le 4éme est offert et nous devront nous fader 2 heures d'effort en plus. Et le supplice commence sans que nous nous en doutions.
Mine de rien, nous crapahutons depuis près de 7 heures, et après un raidillon, puis un lac, puis un (autre) raidillon, puis un (autre) lac, les paires de jambes sont vides.

Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls dans la difficulté, d'autres naufragés des cimes cherchent à rejoindre dans les temps et la douleur le même refuge que nous. Petit bonheur sadique de montagnard, je leur annonce à leur grande surprise qu'il reste encore un col à franchir pour accéder au "Saint Graal" du "Bastan".


Cette dernière difficulté se franchira au mental (qu'il convenait ce jour là de ne pas avoir oublié de mettre dans le sac à dos). Nous décidons de composer un train du courage auquel nous intégrons les wagons les plus "grippés" du groupe. Dans d'ultime souffrance, mon tempo de locomotive à vapeur, lent mais régulier, nous amène à franchir collectivement l'ultime difficulté de la journée (2300 m) sur les coups des 18H00. Et il faut voir alors les plus fringuant de notre collégiale dévaler les pentes de la cuvette du "Bastan", direction le refuge du même nom, havre de paix niché entre les deux plus haut lacs du complexe (qui en compte trois).

Je finis d'arriver en pente douce, escortant un "Jéjé" mort-vivant, et déjà les collègues ont repéré l'agréable lopin qui accueillera notre nuitée. Disposé entre "Lac du Milieu" et ruisseau, décoré de quelques sapinettes, le plateau herbeux prouve une fois de plus que la montagne est rarement ingrate, et qu'à ses enfers succèdent bien des paradis. Paradis qu'on approche d'un peu plus près, 50 mètres plus bas, en rentrant dans l'onde pure de l'étang (19°C), une bonne mousse tout juste décapitée dans la main gauche (5°C).

En temps masqué, le campement a été déployé, et le temps de me sécher et j'active avec enthousiasme le premier apéritif sérieux, car à forte coloration "jaune", de la tournée. Ce debriefing indispensable de la mission du jour, moment fort en convivialité, n'est gâché que par les glapissements sourds du "Grand Lapin", froissé au niveau de ses cervicales C2/C3 à l'occasion de son entrée dans la plus grande et la plus fraiche baignoire de la Bigorre quelques minutes auparavant. "Laurent", médecin officiel du bord , le libère d'un puissant anti-inflammatoire.

20H00 sonne et nous devons nous rendre dans le sympathique chalet qui nous domine - tenue par des vieilles connaissances du "Basque" - pour engouffrer le contenu du second service. Ce sera un succulent "Confit / Haricots mijotés à l'ancienne". Miam.

La soirée est bien avancée quand nous quittons la table pour la terrasse où nous décidons de finir notre odyssée dans la bonne humeur d'un jeu de société au principe dantesque (le loup-garou pour les initiés), cigare et armagnac au coin des lèvres.

Pendant ce temps, le ciel qui nous toise s'est joliment étoilé, mais s'est aussi chargé de quelques sombres cumulus qui n'annoncent rien de bon. On s'en rend compte et déjà le tonnerre gronde dans la vallée d'Aure, quelques kilomètres en contrebas. Deux minutes de plus et les premiers éclairs fendent l'horizon de crêtes qui nous entourent. On s'amuse comme des gosses à compter les secondes qui séparent l'allumage des néons orageux du craquement de l'air qu'il déclenche, les mirettes grandes ouvertes pour capter toute la lumière de l'inouï feu d'artifice qui nous est offert. Je ne peux m'empêcher de me dire qu'un tel spectacle - rare en centre ville vous en conviendrez - vaut bien une Tour Eiffel et son laser.

Des grosses gouttes éclatent dans les parages et nous devons dévaler la pente qui nous sépare de nos tentes. La suite du spectacle "son et lumière" se passera sous la protection de nos toiles, tout en ombres chinoises et grondements assourdissants. Rien qui ne pourra nous empêcher de sombrer corps et âme dans les bras de Morphée pour une nuit bien plus reposante que la précédente.


A suivre...

2 commentaires:

Peïo a dit…

Scribe et poète à la fois !
Je suis tout de même surpris que tu ne relates pas tes prouesses personnelles comme ce "sein" Graal ou mouflette légèrement défraîchie (avis d'un oeil averti)croisée au 4ème col et qui t'a grisé jusqu'au refuge dans l'espoir d'une "tente"-"hâtive" de 2 secondes... Echec du légendaire séducteur ou prise de conscience soudaine, nous dirons plutôt fatigue passagère, normale et liée à cette "Gde traversée" ainsi fidèlement contée et maintenant légèrement amendée.
La bise et encore merci.
Peïo, dit lou mastre.
Adishatz.

Canard65 a dit…

Ton calembour me régale mon petit Peïo ! Amendement accepté.